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© Pierre Debons

Je suis née dans les Landes, évidemment, le plus beau pays du monde à mes yeux. Dunes, Océan, Pins.

Je vis à Paris, mais le retour au sable natal m’est souvent nécessaire. Je suis à chaque fois saisie par l’immensité, émue par le tout petit vivant surgi des sables, par la lumière inventrice de mirages au gré des nuages.

 

La nature, un refuge. En suivant des études de psychologie j’ai voulu comprendre quelque chose à ce qui se passait dans ma famille, tendresse et violence, silences taciturnes et cris. Un univers inquiétant.

La nature, un refuge. En suivant des études de psychologie j’ai voulu comprendre quelque chose à ce qui se passait dans ma famille, tendresse et violence, silences taciturnes et cris.

© jules Jouaret
2018, les 20 ans du MLF©Ariane Mestre

Mai 68 a ouvert pour moi des portes insoupçonnées. Je n’étais pas obligée de suivre les injonctions faites aux femmes, mais comme tout le monde, appelée à penser par moi-même. La vie n’allait pas se prolonger pour moi telle que je l’avais vécue jusque-là. Après avoir opté pour la non-maternité, j’ai mené une thèse en psychologie afin de rencontrer d’autres femmes comme moi, ne pas être seule avec cette étrange décision à l’époque puisque tout le monde criait au scandale, et comprendre. Ma professeure Claude Revault d’Allonnes, mère de six enfants, m’a soutenue avec enthousiasme. Je lui dis encore merci.

Pionnière dans les études sur cette question, la non-maternité, je suis toujours sollicitée pour en parler avec des journalistes, des étudiantes, surtout depuis le livre Pas d’enfant dit-elle. Les refus de la maternité paru aux Editions Imago en 2006. Ma première publication, Pas d’enfant dit-elle éditée aux Editions Tierce, date pourtant de 1981 mais c’était beaucoup trop tôt pour faire du bruit, la société n’était pas prête à recevoir un tel choc. Un troisième essai parait, Pas d’enfant dit Athéna, publié chez MJW-Fédition en 2014, et toujours de nombreux articles et conférences. En 2023, une bande dessinée, Môme, quand tu t’y mets ? » dont je suis l’une des héroïnes. Cela m’enchante aujourd’hui de voir acceptée progressivement l’idée que les femmes s’épanouissent aussi bien hors maternité, confiantes dans leur inclination naturelle.

Après avoir travaillé un temps avec Françoise Dolto et suivi pendant cinq ans des enfants en difficulté, je m’oriente dans le conseil en gestion de carrière professionnelle. Je continue d’accompagner en parallèle des femmes qui se posent la question : un enfant ou pas ?

Il y a d’ailleurs plusieurs parallèles à ma biographie. Je bénéficie aussi d’une formation à l’Ecole du Louvre et publie un ouvrage en histoire de l’Art La Madone Libertaire – promenades au musée du Louvre et au-delà. (Imago 2002) C’est alors que s’enchaînent un constat et une rencontre : d’abord me frappe l’absence des femmes actrices de l’histoire de l’art (sinon comme modèle, objets de peinture ou de sculpture). De même, en Histoire tout court. Ensuite la chercheuse et metteuse en scène Aurore Evain redécouvre le mot « matrimoine », le legs culturel, héritage des grandes figures du passé. Il suffit de fouiller pour les retrouver, occultées par les historiens. Ses recherches me confortent dans l’idée que passer sous silence les œuvres des femmes sert bien-sûr à les minorer, mais aussi à les enfermer dans la maternité, seule consolation à ce qu’aucune de leurs œuvres ne soit retenue, sauf exception.

Sur une telle dévalorisation des femmes véhiculée à travers les mentalités, des hommes voudraient ainsi s’appuyer pour légitimer insidieusement le mépris ordinaire quotidien, le harcèlement, la violence.

Collage de dessins d’Amande_Art : femmes du matrimoine affichées sur les murs de Paris (colle de farine et d’eau).

Alors je m’attache avec d’autres féministes à mettre en lumière le matrimoine. En 2015, je lance l’idée à l’association HF-ÎdF de créer des « parcours du matrimoine » au moment des journées du patrimoine devenues aussi les journées du matrimoine. Un livre suit, Le matrimoine de Paris – 20 itinéraires – 20 arrondissements.

Dessins d’Amande_Art : « femmes du matrimoine », affichage sur les murs de Paris (colle de farine et d’eau)

Ces itinéraires culturels à la recherche des femmes du passé dans une ville où l’on retrouve trace de leur passage deviennent vite des pièces de théâtre en costume et chansons. Les parcours essaiment partout en Europe. Les personnes suivant en nombre ces événements viennent nous dire ensuite leur émotion et leur adhésion à ce grand mouvement de mise en lumière. En s’emparant de leur vie, ces femmes ont apporté à l’humanité et à l’Histoire des femmes.

Reconnaître l’effacement des grandes figures du passé, les restituer à leur place dans la mémoire collective à côté des grands hommes du passé, change le regard de la société sur toutes les femmes.

Le matrimoine, ma grande affaire.

Christine Villeneuve et Estelle Menu ©Ariane Mestre